Blanc-Mesnil : la politique municipale de la terre brûlée

La liberté d’expression est célébrée sous les ors de la république, tout en étant bafouée par des politiques autoritaires… Ce paradoxe est très bien illustré par les actes du maire de Blanc-Mesnil qui, après avoir censuré le slameur Grand Corps Malade, continue sa politique de la terre brûlée en ciblant le caricaturiste Christophe Tardieux, alias « Remedium ».

Où est Charlie ? Disparu, envolé avec pertes et fracas. Charlie n’a pas résisté. Moins d’un an après l’engouement collectif où, sous les ors de la république, dictateurs, démocrates, citoyens défilaient ensemble lors de la grande « marche républicaine » du 11 janvier 2015. Unis pour la défense des valeurs, dans un même combat pour la défense de notre liberté. Euh pardon leur liberté. La liberté de qui ? La liberté de quoi ? Telle devrait être la question.

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Au Blanc-Mesnil, c’est du sérieux. On ne badine pas avec la liberté, thème de campagne du maire Républicain, Thierry Meignen. « La liberté a un coût, elle n’a pas de prix ». Cette citation a été brocardée par la municipalité sur les vitrines du cinéma municipal, à l’occasion des manifestations du 27 aout 2014 commémorant la libération de la ville en 1944. Le slogan « Blanc-Mesnil libéré » envahissait nos murs, affiches, journaux, chars, rues transformées en terrain militaire, avec le sous-entendu que le maire et son équipe avait libéré la ville de 83 ans de communisme. Enfin nous allions respirer, tout allait changer pour « le meilleur des mondes ».

Titi Gnangnan en colère

Un an et demi plus tard, où en sommes-nous sur le terrain des libertés ? La ville est embourbée dans des affaires qui font grand bruit mais ne nous honorent pas.
Après la censure et l’annulation du concert de Grand Corps Malade en mai 2015, le maire récidive. Il tente de bâillonner un dessinateur local, Christophe Tardieux, professeur des écoles qui, à ses heures perdues depuis plus de 10 ans, aime à croquer l’actualité. Après deux BD, Obsidion, chronique des rébellions de 2005, puis Adama sur la chasse aux élèves sans papiers en 2014, Tardieux alias « Remedium » se lance dans un feuilleton BD au rythme de trois fois par semaine. Inspiré par l’arrivée fracassante du nouveau maire Thierry Meignen, il plante le décor à Alba-Villa, une ville fictive, gérée par le non moins célèbre Titi Gnangnan, s’appuyant sur l’actualité locale pour trame de fond, le tout agrémenté d’un humour grinçant qui n’est visiblement pas du tout au goût du maire.

Ainsi, depuis un an, plus d’une centaine de comics strips (BD de 3 ou 4 vignettes disposées en bande horizontale) de Titi Gnangnan ont été publiés sur le site http://titignangnan.tumblr.com/, et relayés sur les réseaux sociaux.

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Durant le conseil municipal de juillet 2015, Thierry Meignen révèle sa passion pour la liberté d’expression : « La caricature ne peut pas être la forme déguisée de l’insulte et de la diffamation ». Ce sera pour lui l’occasion de faire voter par sa majorité silencieuse l’attribution d’une « protection fonctionnelle » assortie d’une enveloppe de 10 000 €, puisée dans les ressources locales pour aller en justice. En attendant d’aller devant le tribunal, le maire décide unilatéralement d’expulser Tardieux de son logement géré par la municipalité. En cette rentrée scolaire 2015, il ne fait pas bon de dessiner et d’enseigner au Blanc-Mesnil.

Tout juste six mois après son post sur sa page Facebook.

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Citoyens tétanisés

La censure de Grand Corps Malade puis la cabbale contre Remedium illustre le comportement d’un homme autoritaire qui use de son pouvoir et des moyens de la collectivité pour anéantir toute opposition supposée ou réelle, toute critique de son action. Malheureusement, il est suivi comme un seul homme par sa majorité, ainsi qu’une grande partie des agents municipaux et citoyens tétanisés par l’idée d’être à leur tour victime de sa politique de la terre brûlée. Car il ne lésine pas sur les moyens, s’octroie même le droit de diffamer, de menacer, de porter plainte contre quiconque entrave son chemin. Les premiers à en avoir fait les frais furent les salariés, suspectés d’être contre lui, d’être communistes, jusqu’à s’attaquer à leurs enfants.

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Puis les services et équipements publics dont la Bourse du travail anéantie, le forum culturel démantelé, les services publics désorganisés, suivi par la purge du personnel qui touche même son propre camp, lorsqu’il décide de destituer en novembre 2014 son adjoint à la santé, Amar Amrane, au motif qu’il tenterait de mettre à mal les centres de santé. Pourtant c’est le maire en personne qui leur porte le coup de grâce en mai 2015, dans le journal de la ville :

« Les Blanc-Mesnilois doivent savoir… Le fonctionnement des centres municipaux de santé est extrêmement onéreux car peu optimisés (un médecin y rencontre en moyenne trois patients par jour). »

Dans un courrier resté sans réponse, près de 75% du personnel des CMS réagissent : « L’ensemble du personnel soignant et administratif des centres municipaux de santé a lu avec intérêt votre intervention… Nous sommes pour le moins choqués de lire que l’on travaille si peu dans nos centres. Nous avons pensé soit à une erreur dactylographique, soit à une erreur dans la transmission ou dans le traitement de l’information. Nous avons espéré un rectificatif, voire un démenti [1]. » Fin de non-recevoir, pas de démenti, pas de rectificatif.

En avril 2014, le maire décrète l’expulsion de leurs locaux, au motif qu’il accueillerait un « parti politique » dans leurs murs, alors qu’il s’agissait du SNUipp de la FSU, syndicat des enseignants du 1er degré. Dans un courrier qu’il adresse au maire, le président de l’Office Local des Sports, Didier Gueux, s’étonne des motifs invoqués par sa sœur, adjointe chargée des sports. Mais ce maire ne s’arrête pas en si bon chemin. ll porte plainte contre une quarantaine de membres de la CGT, « à la suite d’une violente intrusion, le 30 avril, dans l’espace Eiffel[2] ». La CGT conteste les faits mais n’obtient pas de droit de réponse dans le journal local. La justice a été saisie.

Après les syndicats, c’est au tour des associations d’être ciblées, considérées comme de potentiel ennemi politique. Le travail de division du mouvement associatif s’est étendu aux clubs sportifs. Mis au garde à vous, le BMS-Judo est victime de la colère du maire qui n’a visiblement pas accepté que le président, Mohamed Cherif puisse, en son nom, se présenter aux élections départementales sur la liste Renaissance Citoyenne. Ainsi le 40e tournoi international de judo du BMS-Judo prévu en mai 2015 a été déprogrammé faute de lieu pour l’accueillir.

Vindicte

On aurait pu croire que le maire ferait une pause, le temps des vacances, du farniente… Pas du tout. Il continue avec le même acharnement, rien ne lui fait peur, pas même la peur du ridicule, alors il peaufine son œuvre de destruction. La pause estivale lui offrira l’occasion de jeter à la vindicte publique les bénévoles du comité d’entreprise de la ville, le CASC, au motif fallacieux d’une irrégularité dans l’utilisation des fonds conduisant, selon lui, près de 60 familles à ne plus pouvoir partir en vacances.

S’il a le pouvoir de prendre la parole et d’entonner à qui veut bien le croire qu’il a raison et que les autres ont toujours tort, il demeure difficile pour les victimes de ses attaques d’avoir accès aux moyens de se défendre. Ils n’ont pas la puissance publique à leur service. Les tribunaux déjà engorgés auront fort à faire avec notre édile puisque le 18 septembre 2015, « Folio du Blanc-Mesnil » est convoqué pour première comparution du Tribunal de Grande Instance de Paris, suite à une plainte du maire pour diffamation.

Alors oui, un vent de liberté a soufflé sur Blanc-Mesnil. La liberté donnée à un maire tout puissant, de mettre au pas toutes tentatives d’organisation n’allant pas dans le sens du maître des lieux. Pour combien de temps encore ?

NOTES

[1] Le Blanc-Mesnilois, n°16, 24 avril 2015, p. 17.

[2] Le Blanc-Mesnilois, n°17, 7 mai 2015, p. 14.