Le carburant des maîtres du temps

La cocaïne, c’est la drogue qui te fait croire que tu es fort et omniscient. C’est une substance qui te donne l’impression que tout va plus vite, que tu gagnes du temps. Le temps, c’est de l’argent, tu deviens un blindé actif si t’en prends, tu n’es pas un schlag qui se traine. Tu gardes le contrôle de tout, tu gères même la consommation. C’est sans effets secondaires graves.

C’est la came des années 1980, ambiance Ronald Reagan – soirées huppées, chefs d’entreprises et showbiz.

Ça, c’est la vitrine de présentation du produit.

C’est jeune, moderne et ça fait gagner. Le carburant des élites, un truc de vainqueur. C’est sans doute le seul point commun que tu peux te payer avec les gens dont tu suis les déboires dans la presse « people », avec les grands dirigeants d’entreprise.

Dans la vraie vie, ce n’est pas la même chose. Ce qui arrive dans tes narines, tes clopes. ou autres, c’est un produit de consommation de masse de basse qualité. Un assommoir venu d’un pays lointain sur lequel des personnes mal intentionnées ont fait une sacrée plus-value.

La version populaire et bon marché de moins bonne qualité de ce qui faisait rêver. Ce n’est plus le champagne des grandes soirées mais un mousseux qui fait déborder les soirées, qui permet de faire le dingue au stade, de tenir des cadences infernales au boulot.

C’est une drogue qui fait tenir des cadences infernales aux traders et qui permet aux stars de performer sur scène. Alors que ça te permet de tenir deux petits boulots en même temps, de battre des records de vitesse pour livrer une pizza.

Cette poudre aux yeux, à force de films et de série et d’article dans Closer, on l’a confondue avec la recette miracle pour faire comme les riches. Comme si imiter quelqu’un c’était pouvoir prendre sa place. Tu ne seras pas Amy Winehouse, juste une paumée de plus. Tony Montana n’a jamais existé, mais ta fin sera bien réelle et encore plus glauque.

On ne fait plus la fête sur le toit du monde, mais le dingue dans son appartement ou dans le hall.

Livreur de pizza ou intérimaire qui traine au bas du bâtiment : la précarité transforme la vie en urgence permanente. La « C » fait croire qu’elle permet de gérer le speed. À celui qui touche le RSA, elle donne l’impression d’avoir les problèmes du riche.

Le monde se rétrécit, le temps s’accélère.

Un instant succède à l’autre et la précarité de la vie quotidienne bascule dans la précarité absolue. La coke bon marché devient autre chose, quand on a quelques connaissances de base en chimie.

Le crack, les flashs et la course à la survie permanente. Calculs et combines à court terme. Pas d’avenir.

Le temps tourne en boucle rapide pour le trader comme pour le cracker.

On se décalque la tête dans les élites comme dans les classes populaires. Sauf qu’en bas, on n’a pas le matelas de fric pour se rattraper quand on arrive dans le mur lancé à toute vitesse. La coke est la came des maîtres du temps, des puissants qui imposent les cadences de production. On ne peut pas manipuler du kérosène sans se prendre un retour de flamme et s’intoxiquer. Croire qu’on peut rivaliser avec la Jet-Set en jouant au même jeu ou s’en sortir avec les mêmes artifices, c’est semer la mort sociale autour de soi ou pire. La cocaïne, c’est la soumission à l’ordre économique et social, ça permet de faire tourner les gens sur eux même encore plus vite.