Le parrain du Blanc-Mesnil

Le 21 mai prochain, Grand Corps Malade devait se produire en concert dans une salle municipale du Blanc-Mesnil. Annulé. Le 12 mai, Alain Ramos, conseiller municipal d’opposition (MDP), est agressé par le maire UMP, Thierry Meignen. Deux événements qui révèlent une volonté politique d’étouffer toute forme de contestation politique dans la ville.

Grand Corps Malade (GCM) et Rachid Amghar, alias « Rachid Taxi », sont des amis de longue date, tous deux natifs du Blanc-Mesnil. Leur amitié s’est concrétisée par une chanson-hommage pleine de tendresse parue dans l’album 3e Temps en 2010.

Depuis plusieurs années, le chauffeur de taxi est parfois invité par GCM sur scène, ce qui l’amène à pousser la chansonnette sur des titres du slameur nationalement connu. Rachid Amghar est ainsi apparu sur les scènes de Rabat, Pavillon Sous-Bois, Stains, etc. Il parait tout naturel pour GCM que, dans sa ville de naissance et de résidence, il soit encore sollicité. Mais c’était sans compter l’intervention directe du maire Thierry Meignen (UMP), qui ne l’entend pas de cette oreille.

Lors des élections municipales de 2014, marquées par un taux d’abstention très élevé (43,41 %, soit 10 960 abstentionnistes sur 25 245 inscrits), l’UMP réussit un coup de force électoral sans précédent dans cette ville de Seine-Saint-Denis dirigée par les communistes depuis des décennies. Cette victoire est obtenue grâce à la défiance croissante des habitants vis-à-vis de la majorité sortante, mais aussi par une alliance entre la droite et certains groupes d’habitants déterminés à faire tomber le maire Didier Mignot. Cependant, sa victoire est courte et fragile : l’UMP obtient seulement 209 suffrages de plus que l’Union de la gauche (7 011 contre 6 802). Une fois élu, Meignen décide de mener une véritable purge politique avec un objectif précis : étouffer toute forme de contestation politique et faire table rase du communisme municipal, en visant les réseaux associatifs, les clubs sportifs et les agents municipaux supposés être dans le giron du parti communiste.

Il applique ainsi la méthode utilisée à Corbeil-Essonnes par Serge Dassault et son conseiller spécial Gérard Lesuisse, qui devient en 2014 collaborateur du maire de Blanc-Mesnil… En 1998, les agents municipaux de Corbeil-Essonnes avaient subi ce que le syndicat CGT avait appelé une « purification idéologique » au travers de méthodes brutales : mise au placard, mutation forcée, utilisation politique de la police municipale, non-renouvellement de subventions aux associations, etc. [1] Lesuisse, par ailleurs vice-président de l’Association représentative des collaborateurs d’élus (ARCOLE), a ainsi accumulé une expérience précieuse pour implanter la droite dans une commune de banlieue populaire, et la transfère tel quel au Blanc-Mesnil. On observe alors une casse en règle des différentes institutions culturelles, sportives et syndicales : suppression de la subvention (80 000€) et fin de la mise à disposition des locaux (depuis le 1er janvier 2015) de la Bourse du travail, retrait des locaux de l’OLS (Office Local des Sports), arrêt de la scène conventionnée du Forum culturel (suppression de la subvention de 1,8 million €), etc. C’est dans le cadre de cette domestication politique qu’il faut situer l’annulation du concert de GCM.

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Grand Corps Malade et Rachid Amghar à Casablanca.

En effet, Rachid Amghar est une figure politique locale, clairement classé à gauche, et sa compagne, Zouina Meddour, est chargée de mission pour la lutte contre les discriminations. Celle-ci est une personnalité appréciée et reconnue par les habitants, puisqu’elle anime depuis des décennies le tissu associatif local, notamment plusieurs groupes de femmes de quartiers populaires. Considérée à tort comme une sympathisante communiste, elle a été placardisée intentionnellement par le cabinet du maire et les acteurs associatifs qui l’entourent sont littéralement menacés pour ne plus travailler avec elle s’ils souhaitent être soutenus financièrement… L’objectif politique est clair : isoler ce couple réfractaire à l’hégémonie de la droite au Blanc-Mesnil, et les pousser à déménager…

À la violence psychologique, le maire ajoute la violence physique. Le 12 mai, le conseiller municipal Alain Ramos (MDP) est « projeté sur le sol » par le maire en personne, durant une réunion sur l’organisation de séjours pour des jeunes de la ville. Selon nos informations, il s’est présenté au commissariat du centre-ville pour déposer sa plainte, mais le policier lui conseille de s’adresser directement au Préfet. Ce qu’il fait dans un courrier publié sur son blog.

Avant l’annulation du concert de GCM, le maire avait exigé l’absence de Rachid Amghar. GCM, qui tombre des nues, refuse. Une négociation s’engage entre le producteur et l’adjoint à la culture, qui débouche sur une impasse. Meignen et Lesuisse sont intransigeants. Le 12 mai, le producteur reçoit la lettre d’annulation en recommandé avec accusé de réception. La mairie invoque un problème d’assurances et « le non-respect du contrat ». Pas sûr que cette rupture de contrat intempestive soit légale : les artistes reçoivent régulièrement des invités sur scène sans que leur nom apparaisse sur le contrat. L’avocat de GCM va sûrement saisir la justice, au risque que l’argent public des Blancmesnilois soit gaspillé en dommages et intérêts… À l’heure où la liberté d’expression est brandie comme une « valeur essentielle de la République », on ne peut que crier #JeSuisRachid !

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NOTES

[1] « Serge Dassault: rafales contre les agents municipaux », L’Humanité, 2 juillet 1998.